Les enjeux du MVP

Le MVP (Minimum Viable Product) est devenu un concept obligé pour toute startup qui se veut crédible. Un terme qui s’est imposé depuis une dizaine d’années, popularisé par un universitaire américain, Eric Ries, dans son ouvrage « Lean Startup Process ».

 

Dans ce livre à succès, devenu LA référence pour les startups de la Silicon Valley et ailleurs, l’auteur décrit les recettes qui, selon lui, permettent à une startup de se développer vite et bien.

De fait, le MVP – qui consiste à développer le plus vite possible une première version « montrable » de sa solution technologique - est bien plus qu’un acronyme pour toute startup Californienne ambitieuse. Le terme illustre une véritable philosophie du succès entrepreneuriale, un point de passage obligé pour toute jeune entreprise technologique soucieuse de « conquérir le monde », pour reprendre le poncif à la mode du côté de Palo Alto.

A écouter les fondateurs de startups convertis au MVP, du moins ceux, de l’autre côté de l’Atlantique, qui ambitionnent de prospérer mondialement, les mérites de ce concept sont presque innombrables.

Voici les plus souvent cités : le MVP est d’abord l’outil parfait qui permet de montrer très rapidement ce que veut être la solution technologique en cours de réalisation. Cette version initiale permettrait, en outre, de déterminer rapidement si cette solution a une chance, ou non, de réussir sur le marché. Elle serait également, surtout s’il s’agit d’une solution logicielle, le meilleur moyen de comprendre comment les développements des versions supérieures devront être fait. Et donc de faire des économies sur les temps et les coûts de développement. Enfin, une version initiale, même rudimentaire, est sensée donner des indications précoces sur la profitabilité ultime de la solution commercialisée à grande échelle.

 

Les mérites du MVP

Dans une grande majorité de cas, cette approche a prouvé ses mérites, bien avant même la popularisation du terme. L’histoire de l’innovation technologique dans la Silicon Valley de ces 30 dernières années montre que cette approche a été utilisée parfois même jusqu’à la caricature. Dans l’euphorie des années 90, alors qu’il se créait 50 startups par jour dans la région, la chasse aux innovations était telle que les entrepreneurs de l’époque faisaient la queue – littéralement – dans les cafés et les restaurants les plus cotés de Palo Alto (centre névralgique du Capital risque local) – pour « pitcher » leurs idées face aux investisseurs. Disposés chacun à une table comme lors de banales séances de speed dating…

Et là, la présentation d’un MVP tel qu’on le conçoit aujourd’hui, était quelquefois une forte exagération de la réalité… Quelques schémas, présentations bâclées sur Powerpoint, faisaient souvent office de démonstrateur. Et pourtant le concept du MVP, colonne vertébrale du développement lean d’une start-up était bien présent. Au bout de 15mn des chèques étaient bel et bien signés sur la foi d’ancêtres des MPV d’aujourd’hui.

L’idée qu’après avoir démontré son concept, il fallait aller de plus en plus vite pour le développer a longtemps été l’ADN de toute startup locale. Et l’est encore aujourd’hui, pour beaucoup d’entre elles.

A tel point qu’on peut regretter que le concept du MVP n’ait pas été inventé par un investisseur, puisqu’un tel outil reste un déclencheur clé pour nombre d’investisseurs.

 

Tour d’Ivoire

Dès lors, si le point de passage obligé vers le financement d’une innovation, elle-même préalable au succès commercial de celle-ci, est le MVP, le sujet ne devrait pas faire débat. La question de développer une stratégie de croissance basée sur le développement initial d’une version basique de son innovation devrait s’imposer auprès de toutes les startups de la planète.

Pas forcément en France. Dans combien de cas, la présentation d’une innovation technologique ne s’effectue qu’après 2, 3, voire plus, années de développement et de mises au point « secrètes » ? L’entrepreneur/porteur de projet/inventeur (masculin ou féminin) expliquant que la qualité de son innovation n’était pas assez « au point » pour être montrée plus tôt… Même s’il est l’argument le plus souvent mis en avant, ce souci de perfection n’est pas le seul pour expliquer que l’urgence de montrer son innovation au marché ne constitue pas l’urgence principale. Il peut s’agir aussi, au choix, du souci de « continuer à chercher », « d’attendre une opportunité » ou une « criconstance favorable ». Bref, autant de raisons qui montrent que la nécessité d’être confronté à la réalité du marché et/ou du client ne saute pas aux yeux de ces entrepreneurs. On peut tenter d’expliquer d’où viennent ces raisons (au pays de Descartes il peut sembler compréhensible de courir après une hypothétique perfection bien éloignée du concept de MVP.

On peut aussi de contenter de regretter cette approche qui présente bien plus d’inconvénients que d’avantages. D’abord les opportunités de marché : même si on part avec une idée innovante, en avance sur son temps, celle-ci ne le reste jamais éternellement, sauf si elle ne l’est pas vraiment (une « solution qui cherche son problème » disent les Californiens). Surtout, ne pas se confronter le plus vite possible à la réalité empêche de créer les conditions ultimes du succès : une idée « extérieure » qui viendra améliorer l’idée de base, un partenariat possible avec des individus ou des organisations qui apporterait au travail initial de meilleures chances de succès, etc…

D’où vient ce décalage entre l’état d’esprit d’un(e) jeune entrepreneur de l’Hexagone et son alter ego Californien (ou même du reste du monde) ? Certes, outre-Atlantique, on accueille bien plus favorablement une idée nouvelle, même inaboutie, que de ce côté-ci de l’océan. Et surtout on est davantage disposé à donner sa chance au MVP, l’échec, in fine, n’étant pas un problème.

Mais cette excuse de ne pas vivre dans un pays de « early adopters », où la prise de risque fait partie du comportement entrepreneurial n’explique pas tout.

Il y a également le fait, qu’on enseigne, en France, les valeurs qui permettent l’innovation et la prise de risque de façon bien plus frileuse que dans beaucoup d’autres pays, pas seulement dans celui de l’Oncle Sam. Y compris dans l’approche commerciale elle-même ou l’on aura tendance à aller sur les différents marchés de façon séquentielle, par étapes, voire par pays. Et seulement lorsque tout est prêt : avec une équipe complète, des financements suffisants, une offre parfaite. Cela n’arrive jamais !

C’est pourquoi, avant même de réussir son innovation, nombre d’entrepreneurs en herbe, même les plus expérimentés sur le plan de la carrière professionnelle, feraient bien d’aller voir comment font les autres pour réussir mieux et plus vite. Pas pour « prendre des leçons » (presque aucun Français n’y est prêt) mais pour simplement se remettre sincèrement en question. Au sens propre.

 

Michel Ktitareff