La levée de fonds, ce n’est pas seulement aller chercher de l’argent…

Pour une startup, la levée de fonds, ou plus généralement la recherche de financements, est une obsession. Pour son dirigeant, assez souvent un emploi à temps plein.

Les raisons sont évidentes : par construction, une startup technologique doit d’abord développer sa solution avant de pouvoir espérer la vendre et pérenniser son activité. C’est a priori le lot de toute entreprise qui se crée mais dans le cas d’une startup le préalable du développement technologique représente un effort financier souvent considérable.

Les startups de l’Hexagone n’échappent bien sûr pas à cette contrainte mais la façon de la traiter y est, plus qu’ailleurs en Europe, et encore plus dans le reste du monde, à bien des égards, spécifique.

En effet, quoi qu’on puisse en dire, l’argent public coule à flots dans ce qu’il est convenu – abusivement – d’appeler « la startup nation ». A la fois de façon indirecte (statut de jeune entreprise, crédit d’impôts, statut de chômeur adapté,…), mais aussi directe. Prêts d’honneur, subventions, dispositifs locaux, financements divers par la Banque Publique d’Investissements (BPI), sans parler de prêts bancaires compréhensifs de la part de nombreuses banques privées…

BPI France finance même, par l’assurance prospection, des dépenses d’investissement à l’étranger pour favoriser l’export. Le dispositif s’est même renforcé pendant la crise sanitaire.

Sur le papier, la France serait donc une terre d’abondance pour les entrepreneurs technologiques et le pays devrait crouler sous le nombre de startups valorisées 1 milliards d’Euros, ou plus, rivalisant sur les marchés internationaux avec leurs concurrentes Américaines ou Chinoises.

Tout le monde sait que ce n’est pas le cas. Elles ne sont que quelques-unes à entrer dans la catégorie des Licornes et encore leur statut de valoir au moins ce milliard d’Euros est-il souvent sujet à caution et éphémère. Il suffirait, pour se convaincre de l’absence de véritables leaders technologiques mondiaux, de faire de véritables comparaisons (chiffres d’affaires, rentabilité, parts de marché, valorisation boursière) entre les Françaises et leurs rivales.

 

Financements précoces (presque) assurés

Si le constat est connu, reste à en expliquer les causes. Or, celles-ci sont, en grande partie, à rechercher justement du côté du sujet de la levée de fonds.

Si l’on peut se féliciter du fait que l’argent est relativement facile à trouver aux stades précoces de la création d’une startup, on peut aussi considérer que le problème commence – aussi – là. En effet, l’essentiel des dispositifs de financement précoces ne sont guère attribués au mérite. Que ce soit celui de la solution technologique en développement ou celui de l’équipe dirigeante.

Quels dossiers sont véritablement analysés par les « financeurs » sur ces critères ?

Aux États-Unis, ce travail « d’assessment » est effectué par de véritables réseaux de Business Angels, composés d’entrepreneurs expérimentés, qui mettent souvent l’argent de leur propre réussite passé dans ces financements précoces. Ce travail est complété par des fonds de capital-risque dits « d’amorçage », dont les équipes sont également truffées de professionnels des technologies et de l’entrepreneuriat.

Or ce critère est clé. Il rejoint le sujet du MVP, développé dans l’article XXXXXXX. C’est sur la base du mérite de ce MVP et de la confiance qu’inspire le dirigeant, ou l’équipe dirigeante, à mener le projet voire à le faire évoluer pour qu’il rencontre un succès commercial, que la sélection s’opère. En Silicon Valley, l’argent peut sembler abondant, mais il se mérite.

Lorsqu’il est distribué par des mécanismes d’aides automatiques, il n’incite pas favoriser les plus méritants, à orienter les projets dans des directions plus prometteuses que d’autres. C’est le concept du Smart Money dont on peine à comprendre ce qu’il recouvre exactement dans l’Hexagone.

Du coup, ce défaut de naissance se retrouve à tous les âges suivants de la vie de la startup. Peu poussé par des financeurs privés et exigeants de mettre rapidement sur le marché un premier MVP, beaucoup de startuppers en profitent - en toute bonne foi - à peaufiner à l’infini leur projet. Appliquant jusqu’à la caricature le modèle du savant génial mais enfermé dans sa tour d’ivoire à la quête de la perfection.

Certes, si l’image peut paraître exagérée, il n’en reste pas moins que nombre de porteurs de projets innovants, en France, ne ressentent que très peu la pression du marché et de la concurrence. Contrairement à leurs homologues de la Silicon Valley, obsédés par une concurrence dont ils savent qu’elle peut venir de n’importe où et surgir à l’improviste, les entrepreneurs Français ne sont que rarement pénétrés par ce risque, le pays tant assez grand pour s’y déployer, mais trop petit pour se mondialiser.

Et de fait, leur approche vis-à-vis de la levée de fonds est fondamentalement différente. Alors que leurs homologues Américains – mais également en Asie et dans la plupart des pays d’Europe – recherchent des fonds pour pouvoir mettre le plus vite possible un MVP sur le marché et apprendre à partir de là, l’approche française se concentre sur …le financement d’une solution idéale.

Dans les premières versions d’un dossier de financement, la définition du besoin couvre essentiellement des coûts de développement, souvent sur une période assez longue (à l’échelle du rythme de vie d’une startup). Le souci de financer l’arrivée précoce sur le marché ou celui de comprendre quel serait exactement le besoin du marché est, pour dire au mieux, assez peu formalisé dans la stratégie financière.

Naturellement, aucun investisseur ne fait, d’un seul coup, un chèque pour couvrir en totalité un programme de développement souvent long et complexe, donc incertain sur son résultat et surtout non prouvé du point de vue de l’utilité commerciale. Dès lors, la recherche de financement s’apparente bien à un parcours du combattant dans lequel l’entrepreneur s’épuise à taper à toutes les portes possibles, récoltant ce qui peut l’être. Au détriment de la cohérence entre les investisseurs (partageront ils tous les mêmes objectifs de réussite de la start-up ?) et bien sûr au détriment du temps disponible de l’entrepreneur pour faire son métier d’entrepreneur.

A cette difficulté s’ajoute celle de la structure du capital-risque à la Française qui finance très difficilement ces étapes préliminaires qui vont de la réalisation concrète d’une première version (MVP) jusqu’au besoin de financement destiné à consolider des premiers succès.

Cette période difficile, connue sous diverses appellations (« traversée du désert », « tunnel de la mort », etc…), les startups françaises ne sont pas seules à la subir. Mais aux États-Unis, pour ne prendre que cet exemple, non seulement les financements sont plus généreux (donc n’imposent pas de convaincre une liste trop longue d’investisseurs), ils se décident également plus vite. Mais surtout, ces investisseurs de fonds d’amorçage jouent un rôle beaucoup plus actif auprès des startups qu’ils financent. La mise à disposition est conditionnée au franchissement d’étapes claires (milestones) qu’ils aident concrètement à franchir : aide au recrutement de talents nécessaires, mise à disposition de leurs réseaux pour trouver des partenaires techniques ou commerciaux, etc…).

En contrepartie de ce soutien considérable de « soft power », l’exercice est impitoyable : si l’équipe dirigeante ne franchit pas les milestones convenus, le processus de financement peut être brutalement interrompu et/ou l’équipe remplacée…

Conclusion : comme la quasi-totalité de ses homologues du monde entier, le dirigeant de startup français qui a besoin de faire financer doit « ouvrir ses fenêtres » le plus tôt possible. Pour s’imprégner des modèles de développement qui marchent, intéresser au plus tôt des investisseurs au-delà de l’Hexagone et se préparer à fonctionner en mode startup : conquérir, grâce à sa solution technologique innovante, le plus vite possible – mais de façon structurée – les plus grandes parts de marché global.

 

Michel Ktitareff